28/03/2013

Malik, Toulouse.


Malik attend ses « associés » au pied de son immeuble, assis sur le dossier d'un banc, face au bac à seringues, un ancien bac à sable reconverti en dépotoir. Il tire sur son joint, les yeux dans le vague. Autour de lui, les parents et les anciens traînent leurs savates sur le bitume craquelé. Les jeunes, ceux de son âge, sont presque tous à la mosquée.
Les rares qui avaient un job ont été limogés par la crise, puis par la préférence nationale. Bien fait, vite fait, les basanés de la république ont salement morflé. Lui, il nourrit les siens en vendant de l'herbe qu'il fait pousser du côté de la voie ferrée abandonnée. Le nouveau tracé passe plus à l'est, loin de la cité.
Au moment où tout a commencé à dérailler, lorsque le guignol qui était présidents a fui le pays, les bobos bien-pensants, ceux qui parlaient avec amour de la diversité, la bouche en cul-de-poule, ont élu un néo-Nazi, un gars qui aurait fait passer le vieux borgne pour un joyeux gauchistes. 
Ils ont frappé les premiers... Peut-être qu'ils ont bien fait, peut-être qu'ils auraient fini par se faire dépouiller. On le saura jamais.
Mais depuis, la France « black blanc beurre » a pris une chevrotine double zéro en pleine tête. Et, pour ceux des quartiers, l'enfer est descendu sur terre, pour le plus grand bonheur des barbus.
La plupart des amis d'enfance de Malik fréquentent désormais les imams venus du bled, forgés dans l'acier Islamique le plus dur. Tous les jours, se sont deux ou trois pauvres gamins qui se font exploser dans l'espoir de passer l'éternité à chevaucher des vierges... deux ou trois gamins qui, hier, dealaient du shit et qui, aujourd'hui, sucent la beuh par les racines...
Une vieille femme, une sorte de gros pruneaux édenté, trottine vers le jeune homme.
-Malik ! Va di'e à ta mè'e qué cé g'ave  ! Baragouine-elle, l'air paniqué.
-Qu'est-ce qui est grave ?
-L'eau coupé ! La lumié'e aussi !
-T'en fais pas, Fadela, je dirais à Kamel de passer, il t'arrangera ça.
-Non ! Non ! S'écrie la vieille femme en sortant de son sac une radio à moitié éventrée qui lâche quelques mots entre deux grésillements. Pas qué moi ! Tous ! Tous a l'eau qué coupé et la lumié'e aussi ! Pa'tout en F'ance et même en Eu'ope! Il a dit ! Il a dit !
-Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse, Fadela ? On est juste un peu plus dans la merde qu'avant.
la vieille est soudain devenue froide et dure comme un bout de métal perdu en Antarctique. Elle pose sur l'avant-bras de jeune homme une main sale et déformée par l'arthrite. Elle lui dit une phrase en Camerounais qui sonne comme une malédiction. Cette phrase, il l'a entendu qu'une seule autre fois dans sa vie, dans la bouche de son père, un peu avant sa mort.
Puis la vieille repart en claudiquant, sa radio crachotant comme un chat en colère.
Malik jette son mégot dans le bac à sable, au milieu des seringues, et regagne son appartement.

(A suivre...)

27/03/2013

Théo, Clermont Ferrant.




Théo a huit ans ce jour là. Ce jour là très exactement, mais ce n'est pas de son anniversaire dont il se souvient...
Non, ce dont il se souvient, c'est de son père entrant dans sa chambre et l'embrassant sur le front. D'habitude, en semaine, son père partait tôt le matin, il travaillait sur les chantiers. Théo l'observe entre ses longs cils bruns. Son père a cette drôle de lueur dans le regard, la même qu'il a eu quand le téléphone a sonné, une nuit, pour prévenir que mamie Fleur était morte. De la gravité et du chagrin. Mais aussi de la peur.
Théo ne comprend pas tout ça, mais il le ressent. Il reste silencieux, immobile, il fait semblant de dormir. Puis son père sort de la pièce. Théo écoute la discussion entre ses parents.
-De toute façon, on savait que ça arriverait... prépare les affaires, je vais charger le camion.
-Pour aller où ? Demande sa mère.
Sa voix est étrange, comme quand elle en colère et qu'elle ne veut pas crier.
-On va aller chez mon frère. Tout ira bien... Si on fait vite, ajoute-t-il.
Théo jette un œil à son radio-réveil spidermann... Il est éteint. Il tapote dessus, mais l'appareil ne se rallume pas. Il se lève sans bruit dans le clair-obscur de la chambre et regarde dans la rue, entre les lames de son volet à la peinture écaillée. Dehors il fait encore sombre. Il voit deux vieux bonhommes dans la rue qui discutent. Ce sont des voisins. L'un d'eux tient un grand bâton. 
Sa mère entre dans sa chambre.
-Tu es déjà réveillé, mon chéri ?
-Maman, je les aurais quand mes cadeaux ? Lui-demande Théo.
Sa mère le regarde sans comprendre Elle a les cheveux en bataille et de larges cernes sous le yeux.
-C'est mon anniversaire ! Lui rappelle Théo.
-Oui... oui bien sûr, mon chéri ! On va déjeuner et se préparer pour aller chez ton oncle pierre. Après tu auras tes cadeaux. Ca ira ?
-Hum-hum...
-Habille-toi et aide-moi à descendre les valises.
-Et l'école ? S'étonne Théo.On a un devoir sur table ce matin.
Sa mère le regarde en se mordillant la lèvre.
-Il n'y pas école aujourd'hui, répond-t-elle, finalement.
-et demain ?
-Demain non plus, mon chéri... viens m'aider. 
Dehors une sirène se mets à hurler.
(à suivre...)